Quand on parle de conflit, il y a des armes que tout le monde connaît. Les grenades explosives, les kalachnikovs, les drones. Mais il existe aussi des armes plus discrètes : celles qui se cachent dans nos assiettes. Quand la nourriture est instrumentalisée, attaquée ou la chaîne alimentaire perturbée, des conséquences aussi dévastatrices qu’une offensive militaire peuvent être provoquées.
« La famine provoquée par l’homme est un vieux phénomène qui se répète au cours de l’histoire, mais depuis 2017 les famines et l’insécurité alimentaire ne cessent d’augmenter », observe Rebecca Blumenthal, conseillère juridique à Global Rights Compliance, un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit humain international. À travers trois conflits actuels, faisons le point sur le rôle que joue la nourriture dans les conflits armés.
Israël-Gaza : l’asphyxie alimentaire ?
« Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé », déclare le 9 octobre dernier Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, alors qu’il imposait un « siège complet » autour de la bande de Gaza. Ces représailles étaient une réponse aux attaques terroristes perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023, où 1139 personnes ont été tuées et 250 otages israéliens et étrangers kidnappés.
Suite à la pression exercée par la communauté internationale, Israël a autorisé l’entrée d’aide alimentaire à Gaza. Mais une enquête menée par l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch révèle que les autorités israéliennes continuent à bloquer et ralentir l’acheminement d’eau et de nourriture vers les territoires palestiniens. Au mois de mars, le ministère de la Santé du Hamas a fait le bilan : le décès de 27 personnes pour cause de faim est annoncé, avec 1,1 million de Gazaouis au bord de la famine.
Israël est accusé d’employer la faim « comme arme de guerre », une stratégie qualifiée par l’ONU de « punition collective » contre le peuple palestinien. Alors qu’Israël se retire de la bande de Gaza en 2005 (le territoire palestinien qui avait été occupé en 1967), un blocus est de nouveau imposé en 2007, au moment où le Hamas prend le pouvoir. Pour Israël, ce blocus est une mesure de défense et de survie, face à la doctrine du Hamas qui prône la destruction d’Israël.
Dans le droit international, la nourriture et l’eau font partie des éléments « indispensables à la survie des populations civiles ». Priver une population de ces besoins est proscrit dans les conventions de Genève, ainsi que le statut de Rome, le traité international qui a créé la Cour pénale. Affamer un peuple est également reconnu comme un crime de guerre et une violation du droit international par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2018.
« L’intention et l’acte comptent plutôt que les conséquences »
Le 29 décembre, une poursuite contre Israël est engagée par l’Afrique du Sud pour « génocide » à la Cour International de Justice (CIJ). La Cour pénale internationale (CPI), elle, peut lancer des enquêtes sur des personnes accusées des crimes internationaux les plus graves : génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression. Mais il n’y a jusqu’à présent jamais eu de poursuite fondée spécifiquement sur le crime de guerre de « famine » à la Cour pénale internationale (CPI).
« Ce qui compte d’un point de vue légal pour dénoncer un crime est l’intention et l’acte, plutôt que ses conséquences. Si on regarde la situation à Gaza, les faits suggèrent que la nourriture est employée comme une arme », explique Joseph Glauber, chercheur au Centre international de recherche sur la politique alimentaire. « Néanmoins, il est souvent difficile de déterminer si l’intention première est d’exercer une pression économique sur un adversaire, d’implémenter des mesures de sécurité ou si le but est réellement d’affamer une population », ajoute-t-il.
Les représailles contre les attaques du Hamas ont impacté la population de Gaza, mais aussi les Palestiniens de Cisjordanie. Dans ce territoire des restrictions radicales ont été imposées sur le mouvement des Palestiniens par Israël en octobre 2023. De nombreux fermiers et agriculteurs ont été privés d’accès à leurs champs d’oliviers. Cette politique qualifiée de « mesure de sécurité »par Israël, influe sur les populations locales, notamment d’un point de vue économique : 10 000 agriculteurs palestiniens vivent de la récolte des olives. Pour 50 000 autres personnes, elle constitue une partie de leurs revenus. De plus, entre septembre et novembre 2023, l’ONU a documenté 113 attaques de Palestiniens par des colons israéliens, de détérioration de zones agricoles et de matériel.
Russie – Ukraine : l’arme des céréales
Le 24 février 2022, la Russie lance son invasion de l’Ukraine. Cette offensive marque une nouvelle étape dans les tensions russo-ukrainiennes, qui avait déjà interpellé la communauté internationale lors de l’annexion de la Crimée en 2014.
Selon une enquête menée par l’ONG Global Rights Compliance, lorsque les chars russes ont franchi la frontière avec l’Ukraine en février, les zones riches en céréales et les infrastructures de production alimentaire ont été ciblées en premier lieu. L’industrie mondiale du blé est lucrative, évaluée à 48 milliards de dollars en 2023 par l’institut de recherches Mordor Intelligence. Ensemble, la Russie et l’Ukraine exportent près d’un tiers du blé et de l’orge produits dans le monde, ainsi que 70% de l’huile de tournesol. Les deux pays sont également de grands fournisseurs de maïs et la Russie le premier producteur mondial d’engrais.
La Russie est accusée d’avoir élaboré un plan visant à piller plus d’un milliard de dollars par an de céréales ukrainiennes, afin de financer son invasion illégale de l’Ukraine. Un crime qui se traduit dans les rapports officiels publiés en 2023 par le gouvernement russe, annonçant de nouveaux records pour le pays dans la production de céréales.
Quelques mois après l’invasion de l’Ukraine, l’ancien président russe Dmitry Medvedev affirmait que la nourriture était « l’arme discrète » de la Russie contre les sanctions occidentales. En juillet 2023, la Russie se retire du Black Sea Grain Initiative, un accord vital permettant à l’Ukraine de garantir l’exportation de son blé par la mer Noire, assurant aussi bien la survie de l’économie ukrainienne que la sécurité alimentaire mondiale. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), les céréales ukrainiennes assuraient l’alimentation d’environ 400 millions de personnes dans le monde, en 2021.
Soudan : la violence et la famine
Au Soudan, la guerre entre deux chefs militaires, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo (souvent appelé « Hemedti »), a éclaté le 15 avril 2023. Une escalade de violence suite au coup d’État que les deux hommes avaient orchestré ensemble en octobre 2021. Depuis plus d’un an, les Forces armées soudanaises (FAS) soutenues par al-Burhane se battent contre la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR) menées par Daglo.
En 2023, la population soudanaise est considérée comme la plus impactée par des « pénuries alimentaires extrêmes » , selon un rapport rédigé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cela se traduit par 18 millions personnes, sur une population de 45 millions qui risquent « l’insécurité alimentaire aiguë », selon le PAM.
85 % des personnes affectées par la famine dans le monde vivent dans des zones de conflits, selon l’ONG Action contre la faim. Dans le cas du Soudan, le pays a connu 36 coups d’État depuis 1956. Un cycle de violence qui vient exacerber des facteurs climatiques et économiques.
« Détruire des stocks alimentaires c’est priver une population de ses besoins »
En mai 2023, un mois après le début de la guerre, le PAM annonce que son entrepôt, contenant un stock alimentaire évalué entre treize et quatorze millions de dollars, avait été pillé par les Forces de soutien rapide (FSR). Les provisions pillées auraient pu nourrir près de 1,5 million de personnes pendant un mois entier.
Cette situation inquiète Rebecca Blumenthal, conseillère juridique au Global Rights Compliance, « Intimider ou arrêter des travailleurs humanitaires, détourner ou détruire des stocks alimentaires revient à priver une population de ses besoins essentiels. D’un point de vue légal, ces actions sont encore plus sérieuses car elles se produisent lorsque le conflit a déjà atteint un stade grave. Même les mécanismes de réponse qui sont censés venir en aide à la population se retrouvent attaqués. »
Mi-décembre, la milice FSR entre pour la première fois dans l’État d’Al-Jazirah, dans le nord-est du Soudan. Ce territoire – un des dix-huit États du Soudan – est le grenier à blé du pays. Ici, les FSR ravagent les terres et pillent les cultures d’agriculteurs locaux, selon l’agence de presse Reuters. Des pillages ont également lieu dans l’ouest Darfour, dans l’est du pays, où la population locale dit être obligé de manger les semences. La nourriture est aussi devenu un moyen de pression pour recruter des hommes. Dans certaines régions, les FSR refusent d’alimenter les hommes et garçons affamés qui ne rejoignent pas les rangs du groupe, selon une enquête publiée au mois de mars par la chaîne américaine CNN.
Entre assiéger des populations, détourner des aides alimentaires ou piller les productions agricoles, dans un système alimentaire mondialisé, la nourriture est facilement instrumentalisée par les belligérants. Que la nourriture soit un dommage collatéral de la guerre ou une cible directe, ce sont les civils qui en payent le prix
Boîte noire
ChatGPT 4
Perplexity.IA
Confrontée à un vaste sujet (« Comment la nourriture est instrumentalisée dans les conflits ? »), je me suis tournée vers ChatGPT pour obtenir une synthèse d’informations. En réponse à ma question, l’IA a été très efficace pour répertorier les conflits mondiaux dans lesquels la nourriture a été utilisée comme une « arme».
J’ai aussi testé le moteur de recherche Perplexity, qui m’a orienté vers des sources de sites internet, plutôt que de simplement recenser les informations. Par contre, je me suis aperçue du manque de capacités critiques et analytiques du moteur, notamment quand je recherchais le «PIB mondial de l’industrie des céréales». Perplexity m’a proposé un résumé de plusieurs sites, avec des chiffres qui se contredisaient totalement d’une phrase à l’autre.
Je me suis aussi penchée sur la question du droit international et du débat autour de ce qui peut être qualifié comme intention d’affamer un peuple. Chat GPT n’a pas été très pertinent quand il s’agit d’identifier le jargon légal et répondre à des prompts qui demandaient de distinguer ces termes juridiques.
Quand j’ai demandé à ChatGPT de m’aider à trouver des experts, certains se sont révélés pertinents mais d’autres moins. ChatGPT m’a proposé par exemple des profils de personnes qui avaient écrit un seul papier sur mon sujet, plutôt que des experts dans le domaine que je cherchais. Faire des recherches manuelles moi-même, en complément de ce que ChatGPT me proposait m’a aidé à trouver d’autres informations intéressantes pour mon article.
J’ai également sollicité Trint pour dérusher mes interviews et cela a été très efficace. C’est un outil que j’utilise fréquemment, et dont je ne me passe plus car il accélère la tâche chronophage du derush. Par contre, il reste nécessaire de repasser sur les enregistrements pour assurer la qualité du texte produit par le logiciel.
Exemple de texte pour l’étape 3. Trint est devenu indispensable pour dérusher des interviews. Pour obtenir des informations factuelles et pratiques sur des guerres en cours, la complémentarité de ChatGPT et Perplexity a été un bon mélange.