Alors que la guerre continue de faire rage en Ukraine, Emmanuel Macron se prépare à accueillir le président chinois Xi Jinping, allié de la Russie. Dans les dîners d’État, qui précèdent souvent des discussions politiques cruciales, chaque détail est soigneusement négocié et planifié à l’avance. Petit tour d’horizon des enjeux diplomatiques de ces festins.
Une sole meunière bien beurrée, des pains de viande, des petits légumes et un filet de bœuf très cuit. C’est ce qu’ont dégusté les couples Trump et Macron, lors d’un dîner au Jules Verne, restaurant de la Tour Eiffel le 14 juillet 2017, deux mois jour pour jour après l’entrée en fonction du président français. « Je peux sans hésitation vous dire que ce [jeudi] soir, nous aurons à la Tour Eiffel un dîner d’amis », prévenait le président Macron avant le festin. Quelques mois plus tôt, en février, pour défendre sa politique migratoire Donald Trump déclarait « Paris n’est plus Paris ! », rapportant les paroles d’un de ses amis qui avait arrêté de se rendre dans la ville lumière.
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’avant de passer à table, redoutant que Donald Trump ne touche pas à son assiette comme cela avait récemment été le cas lors d’un sommet en Italie, l’Élysée a appelé Gilles Bragard, le fondateur du Club des chefs des chefs, cercle ultra sélect regroupant les chefs cuisiniers personnels des dirigeants du monde entier. Un coup de fil dans les cuisines de la Maison Blanche plus tard et le message est transmis : le président américain adore la sole, les légumes et la viande cuits à point, et ne jure que par le meatloaf [pain de viande, ndlr] de sa mère. « Les relations [des États-Unis] avec la France sont plus fortes que jamais », avait tweeté Donald Trump à la suite de ce repas, dont il a parlé à la presse jusqu’à des années plus tard. La diplomatie se joue donc aussi dans l’assiette.
Ce lundi 6 mai, le couple Macron reçoit le président chinois Xi Jinping et son épouse à l’occasion d’un dîner à l’Élysée. Un repas à la dimension politique particulière alors que la guerre en Ukraine dure toujours et que la Russie, alliée de la Chine, a récemment été accusée d’avoir recours à des armes chimiques. Lors d’une visite en Chine l’année dernière, le président français avait appelé le chef d’État chinois à « ramener la Russie à la raison » et à amener « tout le monde à la table des négociations ». Si les repas ne sont qu’un préalable à des négociations ou discussions formelles, qui ne se déroulent que plus tard en présence de tierces personnes, le dîner du 6 mai n’est pas exempt d’enjeux diplomatiques.
La nourriture, un outil politique
Lors des dîners d’États qui rassemblent les dirigeants de deux nations, ou des banquets d’État pour lesquels la liste d’invités est plus fournie, repas et nourriture deviennent des outils politiques. « Les hommes de pouvoir ont toujours utilisé les cuisiniers pour bien recevoir leurs hôtes et faire en sorte que la nourriture soit un élément conciliateur. Elle permet aussi de montrer un savoir-faire d’excellence. Tout cela donne du pouvoir à la cuisine », estime Christian Têtedoie, chef des cuisines de l’Élysée sous Mitterrand, aujourd’hui à la tête d’un restaurant étoilé à Lyon.
La longueur et la forme de la table qui sépare les convives, la matière des couverts et les plats déroulés sur le menu : rien n’est laissé au hasard. « Tout est négocié, exactement comme un débat télévisé entre des candidats à la présidentielle » explique Yves Schemeil, politologue et spécialiste de la diplomatie culinaire. Le plus important réside dans les plats qui vont être servis. Il poursuit : « Le menu d’un dîner d’État est déterminant. Il y a deux hypothèses : soit il est fait pour contraindre la personne à manger quelque chose qui lui déplaît profondément, soit au contraire on lui sert son plat préféré. »
« L’alcool aide à la discussion »
À l’approche d’un dîner d’État, le cuisinier personnel d’un dirigeant lui soumet plusieurs propositions de menus. C’est le chef d’État qui décide celui qui sera finalement servi. Et du même coup, le message politique qu’il souhaite délivrer à son invité. En pleine crise de la vache folle, alors qu’un embargo pèse sur les bovins en provenance du Royaume-Uni, Jacques Chirac, invité par la Reine Elizabeth, trouve par exemple du bœuf angus dans son assiette. À l’inverse, « Sarkozy avait supprimé le fromage dans tous les repas officiels, pour gagner du temps, explique Gilles Bragard. Mais à chaque fois qu’il déjeunait avec Angela Merkel, il disait au chef de mettre du fromage au menu pour Madame Merkel, qui adorait ça ».
Le temps passant, les dîners au sommet s’orientent de plus en plus vers la sobriété, avec des repas plus légers, moins propices à l’excès, et peu d’alcool consommé. « De manière générale, les deux dirigeants font quand même toujours très attention à ne pas consommer avec excès. Ceux qui parfois se goinfrent ou boivent outre mesure, ce sont les accompagnants », estime Yves Schemeil. La France reste un pays où on aime bien manger et bien boire. À la fin des banquets d’État, « les mecs se retrouvent dans les petits salons cachés de l’Élysée, raconte Lucas*, cuisinier de 26 ans qui est passé dans les cuisines de l’Élysée pour un stage et y a gardé de bons amis. Et l’alcool aide à la discussion : tu prends un bon armagnac, ça aide facilement à parler, y compris des sujets sensibles.»
« Donnez-moi de bons cuisiniers, je vous ferai de bons traités »
Talleyrand, ministre des affaires étrangères de Napoléon
Gilles Bragard est convaincu de l’influence de la gastronomie sur les décisions politiques. Les membres du club qu’il a fondé en 1977, considéré comme le « G20 de la gastronomie », sont aujourd’hui régulièrement invités par des chefs d’État du monde entier. « Talleyrand, le ministre des affaires étrangères de Napoléon, lui disait : “Donnez-moi de bons cuisiniers, je vous ferai de bons traités”», aime rappeler Gilles Bragard. En 1814, s’ouvre le congrès de Vienne suite à la défaite de Napoléon, dans lequel les grandes puissances redessinent la carte de l’Europe. Les négociations vont durer huit mois. « Les délégations se recevaient les unes et les autres et c’était à qui ferait le mieux. Talleyrand a réussi à créer une convivialité autour des banquets ce qui a certainement permis à la France d’être d’égal à égal avec les vainqueurs alors qu’on aurait pu être complètement mangés par nos voisins », estime le fondateur du club.
Les dîners partagés par Churchill, Roosevelt et Staline pendant les huit jours de la conférence de en février 1945 sont eux aussi souvent cités. Lors de ce moment pivot de « partage du monde » à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les trois hommes se sont nourris de caviar, de tranches de poissons, de brochettes de viande, de pommes de terre et de gibier, le tout copieusement arrosé de vodka, de vin et de champagne, en très grandes quantités paraît-il. Mais il reste difficile de mesurer l’impact réel de ces réunions fastes sur les relations internationales. Aucun dîner ne semble en mesure de provoquer une guerre à lui tout seul et, à l’inverse, on imagine mal une crise durable comme le conflit israélo-palestinien se résoudre entre la poire et le fromage.
Les dîners fastueux ne sont pas toujours synonymes de paix, surtout lorsqu’il s’agit de repas financés par le contribuable. Il y a eu l’épisode du homard de François de Rugy en 2018 à la suite duquel celui qui était alors président de l’Assemblée nationale avait dû démissionner, accusé de dépenses excessives, l’histoire du « dîner des sommets » à 100 000 euros de Laurent Wauquiez président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et le dîner organisé à Versailles par Emmanuel Macron pour recevoir le roi d’Angleterre Charles III en septembre 2023 dont on ne sait toujours pas combien il a coûté. À l’heure où les dîners de haut niveau sont scrutés par l’opinion publique, il faut aujourd’hui prendre en compte ce que Christian Têtedoie appelle « le jugement du peuple » : « Il faut que dans les appellations, le caviar, la truffe ne soient pas trop mis en avant, explique le chef. Par exemple, quand le président Macron est venu ici, nous avons fait extrêmement attention à ne pas mettre des produits trop luxueux ».
Le menu du dîner de ce lundi soir entre Emmanuel Macron et Xi Jinping reste inconnu, mais une chose est certaine : la France va déployer tous ses atouts culinaires pour impressionner le président chinois. « L’objectif va être de montrer que, même si la France est incapable de dicter la politique chinoise envers l’Ukraine et la Russie, elle reste une grande civilisation. Cela passe par un grand vin, un grand plat compliqué », résume Yves Schemeil. Partager un dîner, un moment convivial autour de la nourriture permettrait donc de préparer le terrain pour une négociation diplomatique réussie. Encore faut-il que les deux protagonistes partagent réellement un repas. « Je ne sais pas comment ça va se passer mais souvent, lors de ces dîners, les chinois grignotent, avance Gilles Bragard. Et souvent, après, ils vont à l’ambassade, pour manger véritablement. »
Boîte noire
ChatGPT 3.5
ChatGPT 4
Midjourney
Pour faire cet article, j’ai fourni à ChatGPT des informations sur la ligne éditoriale du magazine et lui ai demandé de me fournir plusieurs propositions de sujets. Parmi les 6 sujets proposés, j’ai retenu celui-ci : « La diplomatie du dîner : conflits résolus autour de la table : étude des efforts diplomatiques informels impliquant des repas et des échanges culinaires pour résoudre les tensions et les conflits entre nations ou groupes ethniques, en se concentrant sur les exemples historiques et contemporains. » C’était pour moi le plus original et réalisable dans les temps impartis.
Pendant la réalisation de l’article, j’ai sollicité ChatGPT à plusieurs reprises pour trouver des interlocuteurs pertinents. Après un prompt assez général, ChatGPT m’a fourni une liste de 10 personnes dont la première était Henry Kissinger, diplomate américain décédé en novembre 2023. Le reste de la liste comportait des personnes difficilement atteignables, tel Ban Ki-moon. Pour mon deuxième prompt, de façon plus précise, je lui ai demandé de me fournir la liste des anciens chefs de protocole de l’Elysée. Dans les 10 personnes qui m’ont été indiquées, aucune n’avait occupé ce poste.
Pour la rédaction de mon article, je change de stratégie : je rédige un long prompt (environ 10 000 signes), ultra détaillé, pour qu’il rédige intégralement mon article. Je lui ai précisé son rôle, sa mission et j’ai détaillé les tâches à réaliser, ainsi que le plan de mon papier. Pour chaque paragraphe, je lui ai indiqué la thématique, et lui ai demandé de résumer un court texte, et d’y ajouter une citation qu’il n’avait pas le droit de modifier, présélectionnée par moi-même. Le résultat final : beaucoup d’éléments de langage et une difficulté à sélectionner et conserver les éléments les plus importants. En revanche, la consigne précise de conserver certaines citations telles quelles et de les inclure obligatoirement a été respectée.
Pour l’illustration, j’ai eu recours à Midjourney avec le prompt suivant : « un dîner diplomatique, plusieurs hommes et femmes politiques sont autour d’une longue table, dans un style de bande dessinée, de nuit, dans un building avec de grandes baies vitrées. Il y a du poulet et des patates. » Sur les quatre images générées, aucune ne représente de personne racisée et seule une matérialise des femmes (deux pour douze hommes). J’ai choisi cette image pour illustrer mon papier.
Clairement, ce que j’attendais de ChatGPT était en décalage avec ses possibilités actuelles. L’écriture d’un article complet est hors de sa portée. Avec du recul, j’aurais dû lui demander d’exécuter des tâches comme la confection du plan ou la sélection des citations plutôt que la rédaction du papier. Et sur la recherche d’angles et d’interlocuteurs, les prompts précis sont cruciaux pour obtenir des réponses plus adaptées.
Concernant Midjourney, mon prompt, relativement peu précis, révèle un biais de l’outil qui crée des images avec une écrasante majorité d’hommes blancs, peu représentatives de la population générale. Je ne pourrai pas utiliser Midjourney pour illustrer un de mes papiers à l’avenir car je pense, à titre personnel, que cela tuerait la profession des photographes et des illustrateurs et illustratrices.